Côte d’Ivoire: une situation sécuritaire encore incertaine

Publié le par conscience-eburnie

Le pays dirigé par Alassane Ouattara reste une poudrière, en attendant l’avènement hypothétique de la confiance entre les anciens combattants des deux camps.

 

Deux mois après son avènement au pouvoir, Alassane Ouattara se débat dans des problèmes de sécurité lourds de menaces pour l’avenir. La plus grande méfiance règne encore, entre les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, ex-rébellion des Forces nouvelles), qui ont permis à Ouattara de défaire militairement son rival, et les Forces de défense et de sécurité (FDS) jadis inféodées au régime de Laurent Gbagbo.

«Il y a urgence à redéployer les policiers et les gendarmes sur tout le territoire national», insiste Young-jin Choi, le représentant en Côte d’Ivoire du secrétaire général des Nations unies. Un gage de réconciliation et de retour progressif à la normale… Le responsable de la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) annonce par ailleurs à SlateAfrique le renforcement de son dispositif dans l’ouest du pays, une région toujours instable où se trouvent 17.000 déplacés. Huit bases supplémentaires seront instaurées d’ici la fin août, avec passage des effectifs de 4.000 à 5.250 Casques bleus, soit la moitié des contingents de l’Onuci.

Un axe entre le sud ivoirien et le Ghana

Le risque sécuritaire paraît sérieux. «Sous Laurent Gbagbo, il y avait un axe entre le Nord et Ouagadougou, et sous Ouattara, il risque d’y avoir un axe entre le Sud et Accra», souligne un diplomate en poste à Abidjan. En cause: le repli vers le Bénin, le Togo et d’autres pays, via Accra, la capitale du Ghana voisin, de partisans de Laurent Gbagbo interdits de séjour en Europe, et qui pourraient réarmer. Ceux qui se sont arrêtés à Accra représentent un fardeau pour les autorités ghanéennes. Ces dernières ne se montrent pas prêtes à jouer un rôle comparable à celui de Blaise Compaoré, accusé d’avoir aidé à lever une rébellion nordiste en 2002. Jusqu’à présent, le Ghana a tout fait pour se tenir à l’écart du conflit ivoirien.

Le danger, en Côte d’Ivoire, n’est pas seulement militaire. Alassane Ouattara est loin d’avoir réussi à s’imposer comme le président de tous les Ivoiriens. La présence des FRCI à Abidjan et la relative anarchie dans laquelle ils opèrent, se livrant notamment au racket, est perçue comme une invasion des Nordistes, à Abidjan, par une population majoritairement issue des ethnies du Sud du pays. Aux «checkpoints», des barrages érigés par les FRCI pour contrôler les automobilistes, les sommes extorquées aux automobilistes dépassent le billet de 1.000 F CFA (1,5 euro) qui suffisait aux FDS. C’est un véritable tribut de guerre que prélèvent les FRCI, qui ne toucheraient pas de solde. «Des hommes en uniforme se tiennent à l’entrée des cimetières et demandent 15.000 F CFA avant de pouvoir enterrer quelqu’un», affirme ainsi un témoin joint par téléphone.

Des jeunes pratiquent le racket à Abidjan

Au camp Gallieni, à Abidjan, la suspicion et l’hostilité paraissent évidentes, selon des témoignages recueillis par l’AFP. Des éléments des FRCI se plaignent du mépris des officiers des FDS à leur égard. De leur côté, les soldats des FDS refusent de prendre des ordres venus de «vendeurs de rue ou d’apprentis chauffeurs qui portent armes et uniformes mais n’ont pas été entraînés», selon un policier. Vexations et humiliations seraient quotidiennes: le général Philippe Mangou, maintenu par Alassane Ouattara à son poste de chef d’état-major, aurait vu son bureau et sa voiture réquisitionnés par le général Soumaïla Bakayoko, le chef d’état-major des anciennes Forces armées des forces nouvelles (FAFN), rebaptisées FRCI en mars. 

Florent Geel, directeur Afrique de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), en mission en Côte d’Ivoire du 1er au 15 juin, témoigne de la complexité de la situation:

«Au départ, il y avait environ 9.000 hommes des FRCI qui respectaient les accords de Ouagadougou, 5.000 militaires et 4.000 policiers partis en mars de Bouaké pour prendre le contrôle du Sud du pays. Arrivés à Abidjan, ils n’étaient plus que 2.500, beaucoup étant restés dans les villes tombées entre leurs mains. Selon un recensement en cours, pas moins de 26.000 hommes se revendiquent des FRCI: il y a donc un surplus évident de gens qui recrutent parmi des petits conducteurs de bus, des vendeurs à la sauvette, ceux qu’on appelle les “petits singes” à Abidjan et qui sont pro-Ouattara. Ces jeunes mettent un treillis et un T-shirt des FRCI et pratiquent le racket, créant de l’insécurité. Il va falloir les désarmer et les démobiliser».

Quant aux vrais hommes des FRCI qui se livrent aussi à des exactions à Abidjan, la responsabilité de leurs crimes ne paraît pas directement imputable aux autorités, d'après Florent Geel. «Selon toute vraisemblance, les chefs de zone couvrent leurs hommes sans avoir reçu d’ordres de leur hiérarchie, les commandants de zone. Aucun élément ne permet de dire qu’il existe un plan coordonné d’attaque contre les miliciens pro-Gbagbo ou les militants du Front populaire ivoirien (FPI, le parti de Laurent Gbagbo, ndlr). En revanche, il y a des dénonciations, des vengeances personnelles, avec meurtres, tortures et racket à la clé. Certains sont dénoncés à tort comme des miliciens, et on les force ensuite à payer, soit pour acheter leur survie, soit pour rembourser de vieilles dettes.»

De leur côté, les ex-FDS, qui étaient 50.000 avant la crise, seraient toujours présents à 85 %, selon la FIDH. L’armée avait voté à 60 % pour Alassane Ouattara, mais elle avait été privée de moyens, au profit d’unités d’élite recrutées sur une base ethnique et fortement politisées.

Personne n'a été arrêté dans le camp Ouattara

Les combattants des deux camps ont été accusés par les Nations unies de se livrer à des exactions: exécutions sommaires, pillages et viols. L’insécurité empêche encore les 300.000 déplacés qu’a fait la crise post-électorale de rentrer chez eux, selon le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). 

Selon Human Rights Watch (HRW), les nouvelles autorités ne paraissent disposées à enquêter que sur les exactions commises par le camp Gbagbo. «Il y a un fossé croissant entre la réthorique du gouvernement Ouattara, qui consiste à dire que personne n’est au-dessus des lois, et la réalité d’une justice lente et partisane», a notamment affirmé Corinne Dufka, une chercheuse de HRW. Personne, à ce jour, n’a été arrêté dans le camp Ouattara, rappelle l’ONG américaine de défense des droits de l’Homme. Amnesty International, de son côté, a dénoncé le 22 juin la détention sans inculpation de dizaines de partisans de Laurent Gbagbo -au moins cinquante personnes, dont plusieurs politiciens en vue, dont Alcide Djédjé, ancien ministre des Affaires étrangères, détenu à l’hôtel Pergola à Abidjan.

L’enquête ouverte le 23 juin par Luis Moreno-Occampo, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), à la demande du président Alassane Ouattara, devrait changer la donne, au moins sur le plan symbolique, dans un premier temps. Elle doit porter sur les éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés à partir du 28 novembre 2010, date du second tour de la présidentielle. Le 17 juin, a CPI a donné un mois aux victimes pour témoigner des violences qui ont fait 3.000 morts entre novembre 2010 et avril 2011. Une première mission d’experts de la CPI est attendue du 27 juin au 4 juillet à Abidjan. Sa priorité: évaluer la situation sécuritaire sur le terrain.

Publié dans Politique

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